Le théâtre nô

Le Nô est un art théâtral dramatique hautement stylisé, chanté et dansé, joué le plus souvent masqué, dans lequel la beauté du mouvement et de la voix est à son point culminant. Voilà pour la définition officielle. Traditionnellement, cinq pièces de Nô étaient présentées dans la même journée. Pour contraster avec les pièces dramatiques, des pièces comiques, appelées Kyôgen, étaient jouées entre les pièces de Nô. Ces deux formes évoluèrent côte à côte. On se réfère collectivement aux deux sous le nom de Nôgaku.

Les thèmes apportés incluent la piété filiale, l’amour, la jalousie, la vengeance et l’esprit des samouraïs. Tout cela est présenté sous la forme d’une simple émotion, grâce au chant, à la danse et à la musique. Les pièces de Nô n’ont ainsi souvent pas d’intrigue.

Les pièces de Nô ont toujours été écrites, composées et chorégraphiées par les acteurs eux-mêmes. Les plus anciennes remonteraient aux environs de l’an 1333. La plus grande partie des pièces connues date des 15ème et 16ème siècles. Une petite partie a été écrite durant les 100 dernières années. Malgré son côté codifié, le Nô reste en constante évolution (quoique fort lente).

Les caractéristiques uniques de ce genre théâtral sont:
– Le type de scène sur lequel il est joué (unique en son genre).
– L’accent mis sur un seul rôle principal.
– Son utilisation des masques.
– L’usage de la danse comme moyen d’expression important.
– Les méthodes de vocalisation particulières de ses chants.
– La poésie de ses scripts.
– Son orchestre composé d’un grand tambourin (ô-tsuzumi), d’un petit tambourin (ko-tsuzumi), d’une flûte traversière (fue) et parfois d’un grand tambour (taiko).

Dans les temps anciens, le Nô était pratiqué en plein air, le plus souvent dans l’enceinte des sanctuaires shintô. En effet le Nô avait (et a toujours dans une certaine mesure) une connotation religieuse importante. Le style adopté aujourd’hui pour les théâtres Nô modernes est une copie du théâtre qui était construit dans le château du Shogun à Edo. Il était construit à l’extérieur avec les places pour le public dans un bâtiment séparé, largement ouvert et séparé de la scène par un espace libre. Les théâtres modernes ont maintenant la scène et les sièges du public sous le même toit, mais le gravier blanc et le toit surmontant la scène sont des réminiscences du style originel.

On constate que la scène est séparée en quatre parties :
– La scène principale.
– La partie derrière la scène principale, où se tient l’orchestre. Parfois derrière l’orchestre d’autres personnes prennent également place. Un acteur vétéran était ainsi tout derrière lors d’une représentation (pour surveiller les jeunes ? Admirer leur travail ?).
– Une sorte de porche, à droite de la scème principale, où le choeur de 6 ou davantage chanteurs se tient.
– Une espèce de pont entre la scène principale et le rideau d’entrée. Ce pont n’est pas qu’un passage, mais est vraiment considéré comme une partie de la scène. Si un acteur termine son rôle en cours de représentation, il doit s’arrêter et retourner lentement et dignement le long du pont pour retourner en coulisses.

Le seul décor est le mur peint au fond de la scène. Il est appelé kagami-ita en japonais, ce qui veut à peu près dire “tableau-miroir”. Toutes les pièces tant de Nô que de Kyôgen sont jouées devant ce seul décor. Le mur à droite de la scène est lui appelé waki-kagami-ita (ce qui veut dire “tableau-miroir de côté”. Dans son coin inférieur à gauche se trouve une petite porte coulissante par laquelle le choeur et les assistants entrent et sortent de scène.

Comme la scène est avancée dans le public, le spectacle peut être vu tant de face que de côté. Les acteurs doivent donc prendre garde à ce point là. Le pilier de gauche à l’avant de la scène est appelé metsuke-bashira (pilier sur lequel fixer le regard). Son nom vient du fait que l’acteur principal n’a qu’une vision très réduite par les yeux du masque qu’il porte. Il utilise donc ce pilier comme point de repère pour déterminer sa position sur scène. Le pilier situé à l’endroit où le pont rejoint la scène se nomme le shite-bashira. C’est en effet là que le rôle principal (appelé shite) s’arrête et annonce son nom lorsqu’il entre en scène. C’est donc là que l’action commence. Durant une pièce, c’est aussi là que l’acteur principal retourne après chacune de ses actions, danses, etc. Pour la même raison le pilier à droite à l’avant de la scène est appelé waki-bashira, c’est là que l’acteur secondaire (appelé waki) se tient ou retourne quand nécessaire.

Le rideau masquant l’entrée du pont menant à la scène est toujours de cinq couleurs différentes. Deux assistants se tiennent derrière et à l’aide de perches en bambou, l’ouvrent ou le ferment quand nécessaire. C’est là un bon exemple de l’utilisation précise de chaque élément dans le théâtre Nô: la vitesse et le rythme auxquels ils ouvrent et ferment le rideau sont des éléments importants pour indiquer tant au public qu’aux acteurs l’atmosphère de la scène qui va se jouer.

Le petit escalier à l’avant de la scène était jadis utilisé par un représentant du temple ou du sanctuaire dans lequel la pièce allait être jouée, pour annoncer le début et la fin du programme. Les serviteurs des spectateurs de haut rang, l’utilisaient aussi pour apporter des cadeaux aux acteurs. De nos jours il n’est plus utilisé du tout.

Dans la chambre de préparation, l’acteur entre déjà habillé (des assistants l’ont aidé à passer son costume et sa perruque). Il s’assied quelques minutes devant le miroir qui s’y trouve et reçoit ensuite le masque, qu’il saluera cérémonieusement, avant qu’un assistant ne l’aide à le placer sur son visage et ne le fixe. Cette coutume dérive des temps reculés où les masques étaient utilisés uniquement lors des cérémonies religieuses. On pensait que l’esprit du dieu qu’ils représentaient les habitaient réellement.

Lumière
Aucun système artificiel de lumière n’est utilisé pour agrémenter ou créer des effets particuliers durant une représentation. Ainsi les lumières ne sont pas éteintes dans la salle (ça peut surprendre).

Son
La musique constituée des voix, de la flûte et des percussions, est un élément important du théâtre Nô. L’angle du plafond est conçu pour renvoyer les sons vers l’assistance. De grandes jarres de terre cuite sont disposées sous la scène et sous la structure en forme de pont. Elles servent à créer un son particulier lorsque l’acteur danse ou marche. La position des jarres et l’angle selon lequel elles sont disposées est un secret gardé jalousement par des générations de constructeurs de théâtres Nô.

L’acteur Nô

Le théâtre Nô est comme déjà écrit, hautement stylisé. Plutôt que de se concentrer sur une intrigue, le script présente l’apparition et le développement d’une simple émotion ou d’une atmosphère, au travers de laquelle la recherche de la beauté et de la vérité est exprimée. Tout est simplifié et raffiné au maximum pour obtenir un résultat extrêmement concentré. C’est là une technique typiquement japonaise, que l’on retrouve dans d’autres arts traditionnels développés au Moyen-Âge comme la cérémonie du thé, l’ikebana, les haiku ou la peinture sumi-e.
De ce fait, deux acteurs suffisent amplement. L’un d’eux, appelé shite, tient le rôle principal, tandis que l’autre, appelé waki, a pour mission principale de procurer une raison pour danser, à l’acteur principal.
Le waki s’occupe donc en général d’appeler le shite, de le questionner et de lui procurer une raison pour danser. À la suite de quoi il se retire discrètement dans un coin de la scène (près de son pilier) afin que l’attention du public se dirige vers le shite. Cette concentration sur le shite est une caractéristique unique du théâtre Nô.

Parfois le shite est accompagné d’un servant, un ami ou un proche. Ces rôles sont appelés tsure (“amené avec soi”), tomo (“personne qui assiste”) ou kokata (“enfant”). Il y a aussi un assistant chargé de veiller à ce que le costume du shite soit toujours parfait, de lui fournir les éventuels accessoires ou parties de costume, ou de les recevoir lorsque le shite n’en a plus besoin. Toutes ces personnes font partie du groupe du shite. Le choeur qui assure l’accompagnement vocal de la pièce fait aussi partie du groupe du shite.
Le waki dispose aussi parfois d’un assistant, d’un proche, etc… ceux-ci sont alors appelés waki-tsure, waki-tomo, etc…

Les acteurs sont soit entraînés à tenir les parties shite, soit à tenir les parties waki. Ils sont entraînés séparément et ne changent jamais de partie durant toute leur carrière. De même ils sont entraînés par des professeurs différents. Le résultat en est un contraste bien plus grand que si chacun tenait alternativement diverses parties.

Rôles, masques et costumes

Les rôles tenus par les acteurs waki sont de trois types :
– daijin-waki, soit les ministres et représentants de l’Empereur, ou d’un temple important.
– sô-waki, c’est à dire les prêtres de tous rangs et de toutes religions.
– otoko-waki, qui sont les gens ordinaires: guerriers, citadins et villageois.
Le waki est toujours un être humain mâle, en vie au moment où l’action de la pièce se déroule. Ce n’est jamais un fantôme, un démon, un dieu ou une femme.
Le costume du waki permet d’identifier le rôle qu’il tient. Il ne porte donc jamais de masque ou de maquillage. Il doit être convainquant grâce au seul usage de la voix et du geste.
Le shite est une tout autre affaire. En effet il doit jouer toutes sortes de personnages y compris des vieillards, des dieux, des femmes, des fantômes et des animaux. C’est pour cette raison que le shite utilise un large éventail de costumes et de masques différents. En effet, quand un acteur humain mâle (il n’y a pas d’actrices Nô) doit interpréter un vieillard, une femme ou un dieu, il est nécessaire de changer totalement son apparence. Dans le Kabuki ou l’Opéra chinois, ce problème est résolu par l’utilisation du maquillage. Dans le Nô ce sont des masques qui sont utilisés. Des masques sont donc utilisés lorsque l’acteur interprète des personnages non-humains ou féminins. Ils sont aussi utilisés lorsque certaines caractéristiques spéciales sont requises. Par exemple dans le cas d’un personnage affligé par une extrême tristesse. Quoi qu’il en soit, lorsque le personnage est un humain mâle d’âge mûr, aucun masque n’est utilisé. Dans pareils cas l’acteur s’efforce de ne montrer aucune expression avec son visage et de le considérer comme un masque. Tous les autres participants (choristes, musiciens, assistants) se comportent d’ailleurs de même, s’efforçant de rester impassible durant toute la performance.

Les masques sont donc des éléments importants du Nô. L’attitude de l’acteur envers le masque est capitale. Ainsi un acteur de Nô ne considère pas qu’il met un masque mais qu’il se met, physiquement et spirituellement dans le masque. Tant qu’il n’a pas mis son masque il est encore lui-même, mais sitôt qu’il a mis son masque il devient le personnage. Un acteur de Nô passe souvent plusieurs jours à contempler le masque qu’il compte utiliser et à choisir et rechoisir les vêtements qu’il utilisera avec. L’ensemble peut être comparé à une peinture ou une composition musicale, en ce sens qu’il doit être parfaitement harmonieux.